
Dans une chambre de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, un patient met un casque de réalité virtuelle. Devant ses yeux, des bulles lumineuses s’élèvent et redescendent doucement, accompagnées de sons apaisants. Puis le décor change: il se retrouve sur une plage bordée par une mer scintillante ou dans une forêt où résonnent les chants d’oiseaux. Pendant ce voyage immersif, une voix douce lui suggère de respirer profondément, de se détendre et qu’il est en sécurité.
Ce projet dirigé par le Dr David Ogez, professeur adjoint au Département d’anesthésiologie et de médecine de la douleur de l’Université de Montréal, va évaluer les effets de la réalité virtuelle combinée avec l’hypnose sur la qualité de vie et la détresse émotionnelle de patients atteints d’un cancer hématologique par la modulation de leurs émotions négatives et des douleurs ressenties.
Après l’évaluation de son acceptabilité auprès de 10 patients atteints d’un cancer du sang, l’étude est entrée dans une phase plus avancée en regroupant 60 participants. Ceux-ci sont divisés en deux groupes: un groupe expérimental soumis à la réalité virtuelle alliée à l’hypnose et un groupe témoin se limitant à remplir des questionnaires. Cette étape vise à comparer l’influence des interventions sur des variables telles que la douleur, l’anxiété et la qualité de vie.
Pour mettre sur pied ce projet, David Ogez s’est associé à Super Splendide, l’entreprise qui a conçu l’application.
Des paysages immersifs pour échapper à l’hôpital
Au coeur du Grâce à des caméras 360°, des scènes apaisantes ont été captées pour transporter les patients loin de leur chambre d’hôpital. Plus de 700 lieux ont été filmés. «Il est possible de filmer presque n’importe quoi, dit Jean-François Malouin, fondateur de Super Splendide. Par exemple, pour un patient en fin de vie qui rêvait de voir l’île d’Anticosti, nous avons envoyé une caméra à une personne qui habite là-bas. Elle a filmé des paysages immersifs avec des chevreuils, puis a téléversé les vidéos directement dans notre application de réalité virtuelle.»Ces vidéos personnalisées offrent une profondeur émotionnelle unique. «Le contenu significatif, qui résonne avec les souvenirs ou les envies des patients, a un effet bien plus marqué que les vidéos génériques, observe Jean-François Malouin. Cela dit, même des environnements plus universels, comme une plage ou une forêt, peuvent apporter un grand apaisement.»
Les vidéos, conçues pour tourner en boucle, permettent une immersion prolongée. Les patients, souvent limités dans leurs mouvements par la maladie, peuvent naviguer dans ces mondes virtuels à l’aide d’une interface simplifiée qui mise sur l’accompagnement. «C’est une solution idéale, car les personnes qui souffrent ne peuvent pas toujours se servir de manettes comme le demandent habituellement les casques de réalité virtuelle», ajoute David Ogez.
Une approche multidimensionnelle
L’équipe a intégré des outils interactifs et des suggestions hypnotiques dans les expériences immersives. Ainsi, la «main magique» permet aux patients de visualiser leurs propres mains sous forme de diamants lumineux. Ils peuvent symboliquement placer ces diamants sur les zones douloureuses de leur corps pour obtenir un soulagement. «C’est particulièrement utile pour traiter des douleurs comme les mucosites, très fréquentes après une greffe de moelle osseuse», précise David Ogez.Les séances peuvent être guidées par des thérapeutes qui contrôlent le contenu des voyages virtuels en temps réel via une interface dédiée. «Nous avons conçu un système où le ou la thérapeute peut personnaliser l’expérience en fonction des besoins du patient, explique Jean-François Malouin. Par exemple, un patient fatigué pourrait bénéficier d’une séance de méditation, tandis qu’un autre, cherchant à se distraire de sa douleur, pourrait explorer différents types de paysages.»
Des effets thérapeutiques pour des patients très vulnérables
Pour leur «En oncologie, les personnes les plus fragiles sont souvent celles qui subissent une transplantation. Elles sont confinées parfois plus d’un mois pour une greffe de moelle osseuse», indique David Ogez. Ce confinement, qui s’ajoute aux douleurs aigües et à la fatigue intense qu’entraîne la greffe, amplifie l’anxiété et la détresse émotionnelle.Les premiers résultats de leur étude montrent des effets thérapeutiques très prometteurs. Certains patients voulaient garder les casques plus longtemps!
Il faut dire que tout a été mis en oeuvre pour maximiser le bien-être durant l’immersion. «Nous avons énormément testé le casque auprès de patients aux soins palliatifs, raconte Jean-François Malouin. C’est le contexte le plus exigeant en matière de confort. Un jour, nous avons offert une séance à une dame de 85 ans en fin de vie, lourdement médicamentée, qui n’avait pas mangé depuis 10 jours... Elle a tout de même fait une immersion d’une heure et demie! Et à la fin de la séance, elle a dit "J’ai faim!" Puis elle a mangé une assiette de pâtes.»
Outre les vertus thérapeutiques attendues, l’étude a révélé des effets émotionnels inattendus. Ainsi, une patiente a replongé dans des souvenirs d’enfance alors que les visualisations proposées n’ont pas été conçues dans ce but. La suite sera consignée dans les journaux des patients.