L’énigme des invasions mongoles au Japon

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Les samouraïs ont repoussé les Mongols en 1274 et en 1281, avec des victoires attribuées à des vents divins. Jérémy Le Blanc-Gauthier enquête sur ce mythe dans son doctorat.

En repoussant à deux reprises les soldats mongols au Moyen Âge, les samouraïs ont écrit une page marquante de l’histoire du Japon. Ces victoires, en 1274 et en 1281, ont longtemps été attribuées à l’arrivée de vents violents d’origine divine qui auraient anéanti les forces ennemies. Des vents divins, vraiment?

Les deux succès, jugés surprenants en raison de la force des Mongols, passionnent les historiens et les experts d’études orientales depuis des siècles. Des typhons ont-ils bel et bien frappé? Les soldats mongols se comptaient-ils réellement par centaines de milliers? Les guerriers japonais étaient-ils à ce point dépourvus? Ces dernières années, des découvertes, autant documentaires qu’archéologiques, ont relancé le débat, notamment chez les historiens et les archéologues.

Jérémy Le Blanc-Gauthier compte bien contribuer à éclaircir cette page d’histoire grâce à ses travaux de doctorat menés à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal. Après un baccalauréat combiné en histoire et études asiatiques, une étude du bouddhisme et une maîtrise sur le statut de la religion shintô au Japon, il est particulièrement bien outillé. Religion et histoire ont souvent formé un duo tissé serré...

En comparant divers récits, le doctorant a découvert des contradictions, des silences et des motivations politiques derrière ces fameux typhons. «Je tente de trouver des réponses aux choses qui me surprennent», dit-il.

Pokémon et mangas

L’intérêt de Jérémy Le Blanc-Gauthier pour le pays du Soleil levant est né lorsqu’il était adolescent, avec la série de jeux vidéos Pokémon, puis s’est développé avec les mangas et les films japonais, à commencer par ceux d’Akira Kurosawa. Ce réalisateur a d’ailleurs inspiré un récent jeu vidéo, Ghost of Tsushima, paru à l’été 2020, largement basé sur les batailles entre Mongols et samouraïs. «C’est une époque fascinante», résume l’étudiant.

Le doctorant se range dans le camp de ceux pour qui les vents divins sont une chimère politique. Les Japonais appellent ces vents divins kamikazes, mot qui désignera par la suite ces pilotes japonais aux commandes d’avions chargés d’explosifs pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Les tentatives d’invasions mongoles sont immortalisées par les écrits de l’aristocrate Kitabatake Chikafusa, installé à Yoshino, à une époque où le pouvoir impérial vacillait en raison de luttes familiales sans merci. Or, en invoquant une intervention divine, le noble faisait savoir que les dieux veillaient sur les intérêts de sa lignée dynastique. «Kitabatake cherchait à renforcer sa position», indique Jérémy Le Blanc-Gauthier.

Duo religion et politique

Le pouvoir faisait ainsi d’une pierre deux coups, puisqu’il flattait les autorités des temples et des monastères, ce qui n’était pas pour leur déplaire. Les autorités religieuses auraient même, selon certaines sources, réclamé une compensation pour services rendus!

«Affirmer que les tentatives d’invasions mongoles ont été abruptement stoppées par l’intervention des dieux met de l’avant une croyance permettant d’argumenter que la volonté divine était de garder le Japon dans sa forme actuelle, pour toujours», souligne le doctorant.

Les rouleaux illustrés, ce système de narration horizontale du Moyen Âge, constituent des sources inestimables d’information. Dans le sillon d’autres historiens, Jérémy Le Blanc-Gauthier a pu étudier le rouleau illustré le plus fiable de l’époque, écrit à la demande d’un des combattants japonais. Or, aucun typhon n’y est représenté, ni en 1274 ni en 1281. Par contre, un texte d’origine religieuse témoigne que la victoire a été remportée grâce aux kamikazes.

Des Mongols invincibles?

D’autres questions ont surgi au fil des décennies. Le doctorant a consulté des ouvrages mettant en contexte les forces mongoles de l’époque, grandement exagérées selon plusieurs. Il y est parfois question de 200 000 guerriers et d’une flotte de centaines de navires. Or, il faudrait plutôt parler de quelques milliers d’hommes aux abords des côtes de l’archipel japonais. De plus, certains ouvrages avancent que les soldats, pour la plupart des Chinois et des Coréens issus de pays ou de territoires récemment conquis, n’étaient pas nécessairement les plus motivés.

Jérémy Le Blanc-Gauthier mentionne aussi que la première invasion a eu lieu en novembre, soit en dehors de la saison des typhons. Il note enfin que, entre les deux invasions, les Japonais ont fortifié la baie de Hakata en y construisant un mur de 19 km.

Le doctorant s’interroge sur la réputation des Mongols. Ils étaient certes puissants, ayant conquis la Corée et une partie de la Chine, mais correspondaient-ils à la réputation de guerriers sans merci et sanguinaires qui les précédait? Il est indéniable que leur matériel était plus sophistiqué que celui des samouraïs, qui combattaient à cheval, un ennemi à la fois, mais il n’est pas certain que leur flotte ait été à la hauteur des défis de la mer.

Finalement, la volonté des Mongols d’envahir les côtes de l’archipel japonais n’était possiblement pas un objectif ultime. Les historiens s’entendent pour dire que les Mongols avaient tenté à plusieurs reprises de régler leurs doléances par la voie diplomatique, mais sans succès. Le petit-fils de Gengis Khan, alors au pouvoir, souhaitait que le Japon cesse de commercer avec une partie de la Chine qui échappait à son contrôle. Les Japonais n’ont pas répondu aux requêtes des Mongols.

Dans sa thèse en cours de rédaction, Jérémy Le Blanc-Gauthier se demande si certains historiens japonais n’ont pas adopté une version de ces batailles qui était avant tout littéraire. Une sorte de récit épique, une épopée transformée en légende qui aurait trouvé son chemin dans les manuels d’histoire.

«Il y a de nombreuses zones à éclaircir, conclut-il. C’est passionnant.»