Nouvellement professeur au Département de démographie de l’Université de Montréal, Michaël Boissonneault est animé par un désir profond de contribuer à une meilleure compréhension des dynamiques sociales à travers ses recherches, qu’il s’agisse du vieillissement de la population, de la préservation des langues en voie de disparition ou encore de l’analyse des flux migratoires.
Une découverte fortuite de la démographie
Le parcours de Michaël Boissonneault vers la démographie n’était pas tracé d’avance. «Mes parents n’ont pas été à l’université et mes frères et soeurs non plus. Je n’avais pas vraiment de modèle à suivre ou d’idées préconçues. Je me suis juste fié à mon instinct», raconte-t-il. C’est cette démarche intuitive qui l’a conduit à faire le saut dans un domaine où il ne s’était jamais projeté. «Au secondaire, je n’avais aucune idée de ce que je ferais après. Je savais que je voulais continuer à étudier au cégep, mais je n’avais pas de plan précis», poursuit le professeur.La découverte de la démographie est survenue de manière fortuite, au cours d’une rencontre avec une conseillère d’orientation au secondaire. «Voyant mon intérêt pour la statistique et les sciences humaines, elle m’a demandé si j’avais déjà songé à étudier en démographie. Je connaissais la question du vieillissement de la population, mais sans plus», indique-t-il. Ce fut le point de départ. Dès lors, tout projet de recherche qu’il a eu au secondaire et au cégep a été l’occasion pour lui d’approfondir son intérêt pour ce sujet. «C’est comme ça que j’ai apprivoisé la démographie et que j’ai commencé à l’aimer de plus en plus», dit-il.
Recherche sur le vieillissement de la population
Michaël Boissonneault s’est ensuite spécialisé dans le vieillissement de la population. «C’est un sujet qui m’intéresse particulièrement parce qu’il est au coeur des préoccupations aussi bien scientifiques que sociétales», explique-t-il. Dès ses débuts en tant qu’auxiliaire de recherche, il obtient un mandat sur ce thème, ce qui lui permet de plonger rapidement dans cette question complexe. Elle devient alors le fil conducteur de ses travaux, de son mémoire de maîtrise jusqu’à sa thèse de doctorat, où il explore les implications du vieillissement sur la santé et l’emploi.«L’aspect qui retient le plus mon attention, c’est de savoir si les gens sont en assez bonne santé pour continuer à travailler et pour repousser leur retraite. Dans plusieurs pays, l’âge de la retraite augmente, mais les défis liés à la santé en vieillissant rendent cette transition difficile pour beaucoup de personnes», observe-t-il. Lorsqu’il commence sa thèse, sa conclusion initiale est optimiste: «La plupart des gens sont en assez bonne santé pour rester sur le marché du travail un nombre raisonnable d’années supplémentaires. Si l’on faisait passer l’âge légal de la retraite de 65 à 67 ans seulement, ça ne poserait pas de problème à la plupart des travailleurs.» Cette conclusion, cependant, ne reste pas figée.
En effectuant d’autres recherches, le chercheur en démographie découvre des nuances importantes. «On s’aperçoit que les gens continuent effectivement à travailler de plus en plus longtemps. L’âge auquel ils s’arrêtent augmente tranquillement, mais il y a aussi de plus en plus de personnes qui travaillent tout en ayant des problèmes de santé», note-t-il. Cette observation soulève chez lui de nouvelles questions: «Est-ce que les gens travaillent plus longtemps, mais prennent plus de congés de maladie? Leur satisfaction au travail est-elle moindre?» Il n’a pas encore de réponses définitives.
Les disparités socioéconomiques représentent une autre dimension de ce phénomène. «Les personnes titulaires d’un diplôme d’études secondaires sont beaucoup plus désavantagées sur le marché de l’emploi, surtout au regard de la retraite: elles doivent souvent travailler aussi longtemps, voire plus longtemps, que celles qui ont un diplôme d’études postsecondaires, mais elles sont en moins bonne santé», remarque-t-il. Il relève également des différences entre les groupes professionnels. «Les travailleurs manuels, dont les tâches sont plus exigeantes sur le plan physique, sont particulièrement pénalisés. Ce n’est pas seulement une question d’être en assez bonne santé de façon absolue, mais d’être en bonne santé pour pouvoir effectuer son travail. Et pour ceux dont le travail est physiquement plus éprouvant, prolonger la carrière devient beaucoup plus difficile», mentionne le chercheur.
La démographie au service des langues
À côté de ses recherches sur le vieillissement de la population, Michaël Boissonneault s’est découvert une passion pour les langues, qu’il a cultivée en autodidacte. «J’ai appris l’allemand, l’espagnol, le suédois et le néerlandais par moi-même», dit celui qui est ensuite parti faire son doctorat aux Pays-Bas.Son intérêt pour les langues l’a mené à explorer des territoires peu communs, en appliquant les méthodes démographiques à l’étude des langues, en particulier les langues autochtones. «Ce qui est fascinant, c’est que les statistiques qu’on lit souvent sur la disparition des langues sont basées sur très peu de données probantes», signale-t-il. Conscient de cette lacune, il a entrepris de faire des projections démographiques pour mieux comprendre le futur des langues autochtones au Canada.
Son projet de recherche actuel se concentre sur l’utilisation des données de recensement pour estimer le rythme de disparition des langues. «J’aimerais contribuer à améliorer les méthodes d’estimation pour donner une image plus précise de la situation des langues dans le monde», indique le chercheur. À terme, il espère que ses travaux permettront de mieux informer les responsables de politiques linguistiques et de protéger les langues les plus menacées.
Exploration des enjeux migratoires
Parallèlement à ses travaux sur les langues et le vieillissement de la population, Michaël Boissonneault s’est penché sur les dynamiques migratoires. Pendant la pandémie, il a participé à un projet européen visant à élaborer des scénarios de migration pour l’Europe.Ce domaine est difficile à étudier en raison de la multiplicité des facteurs qui influent sur les déplacements de population. Le professeur explique que, contrairement à d’autres indicateurs démographiques comme la mortalité ou la fécondité, les tendances migratoires ne peuvent pas être facilement projetées à partir des données passées. «Ainsi, la crise des réfugiés syriens a démontré à quel point les conflits peuvent brusquement modifier les schémas migratoires globaux, déclare-t-il. La nature fluctuante des migrations dépend de facteurs très variés, qu’il s’agisse de politiques gouvernementales, de conflits armés, de conditions économiques, voire des changements climatiques.»
Pour répondre à ces questions, Michaël Boissonneault et son équipe ont adopté une approche innovante en imaginant des scénarios de migration basés non pas sur les tendances historiques, mais sur des prédictions de futurs contextes sociaux et environnementaux. Avec un de ses collègues, il a conçu des enquêtes permettant de recueillir l’avis d’experts quant aux effets potentiels sur la migration de divers scénarios de changements sociaux. «Supposons que, dans le futur, l’économie se détériore fortement ou que le contexte politique devienne instable. Quelles en seront alors les répercussions sur la migration?» s’est-il demandé. Ainsi, l’équipe de recherche pourra doter les décideurs d’outils plus précis pour voir venir les besoins auxquels il faudra répondre. Un travail qui passionne Michaël Boissonneault.