La neige d’Iqaluktuuttiaq sous observation

Des étudiants et des professeurs du programme Sentinelle Nord participent à une École internationale sur la neige arctique Alors que le printemps se fait attendre à Québec, Météomédia annonçait des températures ressenties jusqu’à -41 degrés Celsius à Iqaluktuuttiaq, ou Cambridge Bay, cette semaine. Dans cette région du Nunavut, «tout est plat, tout est blanc, tout est froid», décrit Louis-Charles Michaud, étudiant au doctorat au Centre d’optique, photonique et laser de l’Université Laval, frappé par ce paysage immaculé constamment balayé par le vent. Jusqu’au 8 avril, il participe à l’École internationale sur la neige arctique pour apprendre à l’étudier, à l’observer et à mesurer ses propriétés physiques.

«Pourquoi tu n’étudies pas la neige dans ta cour?», lui a-t-on déjà demandé. Parce que la façon dont elle se forme en Arctique est extrêmement différente et la façon dont les Inuit l’utilisent aussi, explique-t-il en entrevue téléphonique. «C’est ce qui m’a marqué en parlant avec les gens, ici, à quel point c’est important. Ils se rendent compte que tout change rapidement et ça rend leur mode de vie de plus en plus difficile.»

La neige, présente huit ou neuf mois par année, est vitale pour eux. Elle leur permet de se déplacer en motoneige ou en traîneau à chiens. «L’été, c’est plus difficile de sortir du village et de circuler sur de la tourbière et de la toundra, même en quatre roues.» La neige est aussi une source d’eau, un abri pour la faune et un élément culturel important pour la construction d’igloo ou pour la préparation du thé, par exemple.

Une nouvelle génération de chercheurs

L’École internationale sur la neige arctique, une initiative conjointe du programme Sentinelle Nord de l’Université Laval et du Groupe de recherche interdisciplinaire sur les milieux polaires de l’Université de Sherbrooke, a été créée pour former, sensibiliser et accompagner une nouvelle génération de chercheurs. Une «nécessité», selon Florent Dominé, professeur au Département de chimie de l’Université Laval, membre de l’Unité mixte internationale Takuvik et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique, qui a contribué à son organisation.

«La plupart des chercheurs qui travaillent sur la neige dans le monde se concentrent sur la neige alpine, avec des applications sur les avalanches et sur l’hydrogéologie. Mais si on regarde au niveau climatique, la neige alpine recouvre une très faible partie des surfaces enneigées», dit-il en parlant d’une proportion de 5%, par rapport à 65% pour la neige arctique combinée avec la neige de taïga.

«J’ai travaillé très longtemps à Grenoble. Si on veut faire de la recherche sur la neige alpine, on prend sa voiture et en un quart d’heure, on est sur notre site d’étude. Pour aller à Cambridge Bay, ça nous a pris deux jours et ça a coûté un peu plus cher. La neige arctique est beaucoup plus difficile à étudier parce que c’est moins accessible», explique-t-il.

Au-delà des ordinateurs

Dans la neige alpine, poursuit le professeur Dominé, les couches denses sont en bas et les couches légères, en haut, ce qui est l’inverse dans le cas de la neige arctique. Les modèles climatiques élaborés pour l’une ne fonctionnent donc pas pour l’autre. Mais au-delà des équations sur ordinateur, «quand on étudie le milieu naturel, la chose la plus importante, c’est de faire de bonnes observations pour comprendre», insiste le scientifique.

C’est ce qu’il enseigne en anglais à la vingtaine d’étudiants provenant de six pays et aux trois étudiants du programme de technologie environnementale du Collège de l’Arctique du Nunavut qui sont inscrits à cette école. Au détour, raconte le professeur, Jim, un Inuk qui participe à la formation, arrive en motoneige et donne son avis au-dessus d’un puits de neige. «No pukak», lance-t-il en inuktitut pour dire qu’il n’y a pas de givre de profondeur. Son explication: le sol est sec et rocheux.

« Nos recherches scientifiques sont parfaitement en ligne avec les observations des Inuit depuis longtemps. »

-- Florent Dominé «Nos recherches scientifiques sont parfaitement en ligne avec les observations des Inuit depuis longtemps», a constaté avec enthousiasme Florent Dominé, qui avait étudié la corrélation entre la présence de givre de profondeur et l’humidité au sol.

C’est d’ailleurs dans cette couche de givre de profondeur que les lemmings, ces rongeurs à la base de la chaîne alimentaire terrestre arctique, vivent durant l’hiver. Les changements climatiques et la neige durcie par des épisodes de pluie et de dégel-regel entravent sérieusement les déplacements et les habitudes de vie de ces petits mammifères. Une réduction de leur population peut avoir de grandes conséquences sur la faune locale, illustre le professeur.

Instruments de pointe

À travers des sous-groupes animés par une dizaine de professeurs, de mentors et de membres d’organisations inuit des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, les étudiants de l’École se familiarisent avec des instruments de pointe, comme des drones et des capteurs pour mesurer la neige.

Louis-Charles Michaud ne s’attendait pas à des installations aussi grandes et innovantes, dit-il en parlant de la Station canadienne de recherche dans l’Extrême-Arctique, à Iqaluktuuttiaq.

Apprendre sur un grand nombre de techniques de mesure et côtoyer divers experts lui serviront dans ses projets. L’étudiant au doctorat travaille sur de nouvelles sources laser dans le but de les intégrer dans un système d’imagerie des gaz à effet de serre. «Le pergélisol dégèle de plus en plus, le sol s’affaisse, ce qui crée des lacs de thermokarst. Dans ces lacs, il y a de la décomposition de matière organique qui fait énormément de méthane. C’est un problème.»

Sans aborder cet enjeu précis, l’École sur la neige le fait réfléchir et lui donne des idées. «Par exemple, comment améliorer nos systèmes pour les rendre plus conviviaux en milieu froid et hostile et pour que ce soit plus facile pour les chercheurs.» Louis-Charles Michaud aimerait d’ailleurs revisiter la région arctique et subarctique éventuellement, avec ses propres instruments, pour prendre ses mesures.

Élargir ses perspectives

Même son de cloche pour Rose-Marie Cardinal, qui élargit ses perspectives. Inscrite à la maîtrise en géographie, elle étudie la géomorphologie du pergélisol, soit tout ce qui se trouve en dessous du sol à une température de 0 degré Celsius ou moins, durant deux ans ou plus. «On ne parle pas directement de pergélisol ou de biochimie dans les cours ici, mais en Arctique ou dans tous les écosystèmes, tout est lié. Si je comprends mieux ce qui se passe dans le couvert neigeux, je vais mieux comprendre ce qui se passe en dessous.»

Elle apprécie particulièrement le contact avec les communautés nordiques, qui participent aux cours, aux conférences, aux repas et avec qui les étudiants peuvent échanger. «Ça apporte un aspect plus humain. C’est une dimension tellement importante et complémentaire avec nos connaissances académiques», souligne la jeune femme, qui est aussi allée au Nunavik et a fait un cours au Svalbard, un archipel norvégien situé dans l’océan Arctique.

«C’est vraiment très important d’aller sur le terrain se confronter à des points de vue divers, d’être ouvert à d’autres disciplines, de ne pas rester dans sa petite zone de confort avec les gens habituels. Il faut toujours aller au-devant de l’autre, aller chercher la contradiction pour se pousser soi-même dans ses derniers retranchements, dans ce que l’on croit connaître. C’est de là que vient la richesse des interactions et c’est de là que viennent les nouvelles découvertes et les nouveaux progrès», conclut Florent Dominé.

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