Ces animaux qui défient la Faucheuse

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Certaines espèces animales semblent avoir des capacités de régénération hors du commun. Comment l’expliquer’ Et pourrions-nous les imiter pour nous-mêmes déjouer l’inéluctable’

Halloween. Une nuit par année où la frontière entre le monde des vivants et celui des morts semble se brouiller. Une soirée où les rues se remplissent de créatures défiant la mort: zombies, vampires, fantômes.

À l’instar de cette fête, la nature, elle, regorge en tout temps de véritables exemples de survie étonnante, voire de jeunesse éternelle. Une méduse qui réinitialise son cycle de vie, une salamandre qui passe sa vie à l’état larvaire, un triton qui régénère certaines parties de ses yeux. Certains organismes contournent les règles du jeu et rappellent que les vérités scientifiques peuvent parfois dépasser les légendes les plus fantastiques.

Fascinantes, ces formes de vie singulières incarnent une obsession humaine récurrente: celle d’échapper au destin ultime. L’humain pourrait-il s’inspirer de leur biologie digne des contes d’Halloween’

Claire Vergneau-Grosset , professeure de médecine zoologique à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, nous aide à distinguer le mythe de la réalité chez ces espèces qui semblent dotées de pouvoirs surnaturels.

Une question de simplicité

La méduse Turritopsis dohrnii peut retourner au stade de polype - de «bébé» - à l’infini, pouvant ainsi rajeunir et vivre éternellement. L’axolotl, une sorte de salamandre, conserve ses traits juvéniles et peut se reproduire dans son état larvaire caractérisé par des branchies. Plusieurs poissons peuvent faire repousser des nageoires et des araignées des pattes. Certaines étoiles de mer sont en mesure de reconstituer un nouveau disque complet à partir d’un seul bras et d’un fragment du disque central. Les planaires, des vers plats aquatiques, ont une capacité illimitée à se régénérer grâce à leurs cellules souches.

Qu’ont en commun toutes ces créatures’ Ce sont des poissons, des amphibiens, des invertébrés, bref des animaux somme toute primitifs, appartenant au groupe des anamniotes (qui n’ont pas de sac amniotique à l’état embryonnaire).

Plus précisément, ce sont des espèces qui présentent un système immunitaire plus simple que celui des mammifères, de sorte qu’il ne déclenche pas de réaction inflammatoire aussi complexe que chez les amniotes, limitant la formation du tissu cicatriciel. «Elles ont par conséquent plus de facilité à régénérer un membre, puisque, lorsque les cellules se divisent pour reformer une partie du corps, il n’y a pas de réaction immunitaire aussi intense qui empêche cette reconstruction», dit Claire Vergneau-Grosset.

Donc, indique la vétérinaire, ces êtres ont des capacités particulières non pas parce qu’ils sont dotés d’une biologie plus évoluée que celle des mammifères, mais plutôt parce que leur système immunitaire est plus permissif. Par exemple, les araignées arrivent à faire repousser leurs pattes en raison de la simplicité de leur anatomie: une enveloppe (composée de chitine) remplie de fluide (l’hémolymphe). Lors de la mue, la chitine crée une nouvelle patte et l’hémolymphe ne fait que remplir le nouveau vide.

Des aptitudes, mais...

Claire Vergneau-Grosset tient à le préciser: lorsque les animaux reconstruisent une partie de leur organisme, le nouveau membre est rarement parfait. Chez l’axolotl, certains doigts viennent à manquer sur une patte régénérée, une nageoire neuve de poisson présentera souvent des rayons osseux déformés. «Ça crée de petits monstres», lance-t-elle à la blague.

La professeure ajoute que, pour les geckos qui se départissent volontairement de leur queue pour échapper à un prédateur, la nouvelle queue sera plus large que l’originale. Elle souligne également qu’ils parviennent à faire cette manoeuvre parce qu’ils possèdent des plans de clivage précis dans les vertèbres et des cellules souches satellites situées dans leurs muscles et donc que, si la queue de repousse casse une nouvelle fois, elle ne réapparaîtra pas. Toutefois, la sensibilité et la mobilité sont maintenues dans l’organe reconstitué, ce qui implique une régénération nerveuse qui est particulièrement intéressante pour la recherche.

Et l’humain’

Quand on considère ces caractéristiques animales alléchantes, on peut se demander dans quelle mesure l’humain pourrait en bénéficier ou, du moins, s’en inspirer. Y a-t-il là des mécanismes génétiques intéressants pour la médecine humaine’ Pourrions-nous nous aussi triompher du temps’

«C’est très difficile d’appliquer ces fonctionnements aux humains, puisque les mammifères sont des organismes très complexes. Pour régénérer des membres, il faudrait inhiber le système immunitaire, ce qui n’est pas toujours souhaitable pour l’ensemble du corps. Les rejets de greffe sont des exemples éloquents de ce mécanisme où le nouveau tissu est attaqué par le système immunitaire», illustre Claire Vergneau-Grosset.

Par ailleurs, certains des animaux évoqués plus haut sont connus pour présenter des tissus composés en grande quantité d’eau et d’acide hyaluronique, une molécule participant à la rétention d’eau et à l’élasticité des tissus. Un potentiel hydratant qui a été largement repris par l’industrie cosmétique, notamment pour des crèmes «antiâges».

«Mais pour l’instant, ça s’arrête là. Les cellules souches sont un domaine de recherche effervescent, mais nous ne sommes pas rendus à régénérer des membres ni à les implanter et nous entrons dans un territoire posant de nombreuses questions éthiques», conclut la professeure.

Il ne nous reste donc que le 31 octobre pour revêtir nos habits les plus sombres et prétendre pouvoir défier le cours du temps.