L’humain et l’inclusion, voilà ce qui anime profondément Marie-Ève Dufour. La professeure au Département de management, qui a étudié en psychologie et en relations industrielles, «travaille pour comprendre comment aider les gens en précarité d’emploi, comment les organisations peuvent mieux faire pour favoriser leur employabilité, comment les attirer et les retenir». En ces temps de transformation numérique, la chercheuse étudie aussi comment ils vivent ce grand changement.
«Au moment où la transformation numérique arrive dans une organisation, le personnel a un peu un choc de la réalité, ce n’est pas ce qu’il pensait», observe-t-elle. «Les gens ont toujours l’impression que la 4e révolution technologique, vécue actuellement avec l’intelligence artificielle (IA) et les données massives, ne sera pas pire que la 3e révolution, avec l’entrée des technologies de l’information et des communications dans les entreprises. Mais ce n’est pas juste un changement comme un autre. Il vient toucher la façon de travailler, il y a des postes qui vont disparaître un jour ou l’autre, qui vont changer», énumère la professeure Dufour.
Depuis deux ans, elle coordonne avec sa collègue Julie Dextras-Gauthier, professeure à la Faculté des sciences de l’administration, un programme de recherche sur la perception de la transformation numérique par le personnel en précarité d’emploi dans le secteur des assurances au Canada. Pensons par exemple aux personnes qui reçoivent les appels pour les réclamations, et qui sont souvent des femmes, précise Marie-Ève Dufour. Financé par le Centre des compétences futures, ce programme de recherche-action est réalisé en partenariat avec des compagnies d’assurances canadiennes.
Le secteur des assurances comme exemple
«Cette étude est importante parce qu’elle concerne un secteur qui est en avance sur la transformation numérique - le milieu des assurances travaille avec les données massives depuis longtemps - et qui pourrait servir d’exemple pour ce qui s’en vient. Elle est aussi importante parce que c’est un secteur qui est préoccupé par les effets sur ses employés. Les postes qu’on a ciblés sont à très fort roulement de personnel. Ce secteur hautement compétitif essaie depuis longtemps de jouer sur son attraction et sur sa rétention. Il y a toujours le souci d’essayer de s’améliorer», indique la professeure Dufour.L’intérêt humain de cette recherche, dit-elle, est de se pencher sur des travailleuses et des travailleurs qui ont très peu accès à l’information, qui ne sont pas impliqués dans la prise de décision, et qui vont vivre une transformation et non pas y participer.
Les chercheurs ont réalisé deux collectes de données par questionnaire auprès d’employés de compagnies d’assurances avant et pendant le processus de changement numérique, ainsi que des entrevues individuelles auprès des mêmes répondants, et auprès de gestionnaires, pour avoir une vision plus large. Ils ont aussi voulu tester l’offre de parcours de formation en projet pilote.
« Avec la pandémie, le télétravail a été associé à la transformation numérique et ça se passait super bien. Mais pourtant, la transformation numérique est un changement beaucoup plus complexe. »
-- Marie-Ève Dufour «La COVID nous a joué un tour en cours de route», glisse la coordonnatrice en parlant des résultats préliminaires. Son équipe s’attendait à ce que les employés aient une perception négative de leur capacité de changer, mais à l’inverse, les résultats suggèrent qu’ils percevaient avoir une bonne capacité de changement. Ils avaient peu de résistance au changement, leur engagement envers l’entreprise n’avait pas diminué et ils n’avaient pas l’intention de la quitter. «Avec la pandémie, le télétravail a été associé à la transformation numérique et ça se passait super bien. Mais pourtant, la transformation numérique est un changement beaucoup plus complexe», explique la professeure Dufour.
À la lumière de ce qui a été recueilli, elle dégage déjà des pistes de réflexion. «La première chose, c’est la nécessité d’informer les employés sur ce qu’est la transformation numérique - qu’est-ce que l’IA? Que sont les données massives?-, pour que les gens comprennent bien que ça va venir changer la façon de travailler, l’interaction avec la technologie, à la fois pour l’utilisateur-travailleur, mais aussi pour l’utilisateur-client.»
Deuxièmement, l’équipe de recherche a constaté que préparer les travailleurs ne se limitait pas seulement à donner de la formation. «Il faut avoir une préparation autant personnelle que professionnelle, soulève la coordonnatrice. Il faut guider les gens, déboulonner les mythes, en expliquant par exemple que la transformation numérique ne va pas faire perdre tous les emplois. Oui, des postes vont disparaître, mais il y aura surtout des changements très importants et les organisations donneront l’occasion de prendre des formations.»
Dans ce grand projet multidisciplinaire, Marie-Ève Dufour a travaillé avec des chercheurs du Centre de recherche en technologies de l’information et affaires , avec des équipes du Centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et la vie au travail , avec l’ Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique , avec l’ Académie de la transformation numérique et avec l’ Institut intelligence et données. «L’intérêt avec des projets comme celui-là, c’est que ça permet de rencontrer des gens d’autres facultés très complémentaires à ce qu’on fait, mais qu’on ne connaîtrait pas autrement.»
Dans la foulée du programme de recherche, elle a aussi créé avec des collègues le Centre de recherche en gestion, développement des personnes et des organisations. «Ce qui nous a rapprochés, c’est de vouloir comprendre de quelle façon on peut regarder l’être humain dans les organisations sous tous ses aspects, et la transformation numérique en fait partie», explique la professeure Dufour.
Du plus loin qu’elle se souvienne, elle s’est toujours intéressée «à la personne», ce qui l’a amenée à faire un baccalauréat en psychologie à l’Université Laval. Puis comme elle aimait étudier la personne dans son milieu de travail, elle a poursuivi ses études à la maîtrise et au doctorat en relations industrielles pour se spécialiser en gestion des ressources humaines.
«Je voulais enseigner»
«Il a toujours été clair dans mon esprit que j’allais aller jusqu’au troisième cycle. Je voulais enseigner, je voulais une carrière universitaire», dit la fille de Jean-Claude Dufour, ancien doyen de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation, qui lui a servi de modèle, même s’il n’était pas dans le même domaine.Décorée d’une distinction Socrate, prix remis annuellement aux enseignantes et aux enseignants qui se sont démarqués à l’évaluation de leurs cours par leurs étudiantes et leurs étudiants, Marie-Ève Dufour adore enseigner aux trois cycles. Quand elle prépare ses cours, la professeure se fait un point d’honneur d’être à jour dans les tendances en ressources humaines qui, dit-elle, bougent beaucoup.
Avec les étudiants qu’elle encadre aux cycles supérieurs, elle trouve «magique» de pouvoir les amener à développer leur capacité de recherche. Quelques-uns ont d’ailleurs travaillé sur l’analyse de données du projet sur la perception de la transformation numérique auprès des employés dans le secteur des assurances. «On essaie toujours de les inclure», souligne la professeure, qui multiplie les études sur les différents groupes de travailleurs en précarité d’emploi. «Tous mes travaux se déroulent sous le chapeau de l’équité, de la diversité et de l’inclusion en ressources humaines», résume-t-elle.
Pour en savoir plus sur l’implication de Marie-Ève Dufour dans la création d’une plateforme qui simplifie la recherche d’emploi pour les travailleurs expérimentés ou retraités, voyez cette vidéo.