L’Université de Montréal conserve le nom du pavillon Lionel-Groulx

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«Parallaxe», oeuvre de Ludovic Boney Crédit : Amélie Philibert, Université de Mo
«Parallaxe», oeuvre de Ludovic Boney Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal
L’UdeM maintient le nom du pavillon Lionel-Groulx et dévoile un projet d’art public pour contextualiser l’oeuvre du fondateur de son département d’histoire.

Comment l’Université de Montréal peut-elle concilier le legs important de Lionel Groulx, dont le nom a été donné à l’un de ses pavillons, avec certaines des positions du chanoine et intellectuel profondément contraires aux valeurs actuelles de l’établissement? C’est l’une des questions sur lesquelles s’est penché le Comité de toponymie de l’UdeM à la suite d’une demande de révision de la désignation toponymique du pavillon Lionel-Groulx.

Cette demande, reçue en juillet 2020, a été formulée par des professeures et professeurs du Département d’histoire, qui dénonçaient certains écrits du chanoine Groulx, en plus de lui reprocher un manque de probité intellectuelle et des pratiques incompatibles avec la déontologie universitaire.

Afin d’étayer leur décision, les membres du Comité ont rencontré de multiples intervenants ayant des vues très opposées quant à l’oeuvre et la personne de Lionel Groulx. Au terme d’une analyse rigoureuse des points de vue présentés, une majorité de membres du Comité de toponymie a fait la recommandation au Conseil de l’Université de préserver le nom du pavillon en reconnaissance du rôle de pionnier et de bâtisseur qu’a eu Lionel Groulx à l’Université de Montréal tout en contextualisant cette désignation et en jetant un éclairage critique sur les pans controversés de son oeuvre.

Un héritage intimement lié au développement de l’UdeM

Fondateur de l’Institut d’histoire de l’Université de Montréal, qui deviendra en 1962 le Département d’histoire, le chanoine Groulx a apporté une contribution significative à la professionnalisation de la discipline historique au Québec et à l’Université. Il est également le premier titulaire d’une chaire d’histoire du Canada à l’UdeM et le fondateur de l’Académie canadienne-française et de l’Institut d’histoire de l’Amérique française. Lionel Groulx est considéré par ses contemporains comme un penseur incontournable de la société québécoise et une figure marquante du milieu universitaire.

Bien que certaines de ses positions soient contraires aux valeurs actuelles de l’Université, particulièrement en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, les experts consultés par le Comité sont en majorité d’avis que le racisme, la misogynie et l’antisémitisme qui s’expriment dans l’oeuvre de Lionel Groulx ne sont pas au coeur de sa pensée. Le chanoine Groulx n’a pas contribué à la construction de telles idéologies; il s’inscrivait plutôt à cet égard dans le courant de pensée dominant chez les intellectuels catholiques de l’époque, s’imprégnant assurément des préjugés de son temps. Un temps où le clergé exerçait une influence considérable sur le Québec et le milieu universitaire.


Au sujet du manque de probité intellectuelle soulevé par certains historiens - Lionel Groulx utilisait notamment des noms d’emprunt pour signer des recensions de ses propres ouvrages, des experts consultés par le Comité de toponymie ont indiqué qu’il s’agissait d’une pratique courante à cette époque, qui pouvait s’expliquer en partie par certaines positions délicates prises par le chanoine Groulx relativement au clergé.

La révision toponymique: une procédure balisée

Avant de procéder à l’analyse de la demande de révision toponymique, les membres du Comité se sont dotés de balises pouvant les guider dans leurs travaux. C’est pourquoi le Conseil de l’Université a adopté en juin 2021 l’ Énoncé de principes relatif aux demandes de changement de désignation toponymique . Le Comité a par la suite élaboré une Procédure pour une demande de changement toponymique . Le retrait d’une désignation toponymique étant exceptionnel, ces deux documents ont permis au Comité d’engager une réflexion approfondie et systématique à propos de la demande de révision en tenant compte des principes devant régir le choix des toponymes à l’Université.

Afin de formuler sa recommandation, le Comité a rencontré les demandeurs en plus de solliciter l’avis de nombreux spécialistes de l’oeuvre de Lionel Groulx, ce qui a permis d’entendre différents points de vue sur la question.

Au terme de ce travail d’analyse, une majorité de membres du Comité a jugé que l’héritage de Lionel Groulx, étroitement associé au développement de l’Université, méritait l’honneur d’une désignation toponymique sur le campus de la montagne. Un rapport rédigé par une minorité de membres du Comité s’étant prononcés en faveur d’un changement de nom du pavillon a également été soumis. Ce rapport a aussi été présenté au Conseil de l’Université, qui a consulté les deux documents avant d’entériner la recommandation du groupe majoritaire. Pour le Conseil, il n’est pas incompatible de souligner l’influence majeure qu’a eue Lionel Groulx sur la société québécoise et l’histoire de l’UdeM et de reconnaître le caractère délétère de certaines de ses positions.

Établir un dialogue avec le legs de Lionel Groulx

Depuis la fin de l’été, les passants de la place Publique peuvent voir, jouxtant le pavillon Lionel-Groulx, une installation modulaire, à mi-chemin entre la sculpture et le mobilier urbain, qui se lit à la fois comme une halte et comme un lieu d’échanges. Il s’agit d’une oeuvre réalisée par l’artiste contemporain Ludovic Boney commandée spécialement par l’Université pour contextualiser l’héritage de Lionel Groulx. Au cours des prochaines semaines, une plaque explicative sera installée à proximité de l’oeuvre et invitera les gens à la contemplation, la réflexion et la redéfinition des points de vue.

Car en adoptant la recommandation du groupe majoritaire du Comité de toponymie de conserver le nom du pavillon, le Conseil a aussi demandé qu’un projet soit mis sur pied pour reconnaître les divers aspects de l’oeuvre de Lionel Groulx, incluant ceux qui prêtent à controverse. À l’hiver 2023, l’Université de Montréal a ainsi lancé un concours d’art public afin d’acquérir une installation qui établirait un dialogue critique et constructif avec le legs intellectuel et politique du chanoine le plus connu de l’histoire du Québec. Un jury de sélection a été formé, composé de membres de la communauté universitaire - dont l’un des signataires de la demande initiale de révision toponymique - et de représentants de la société civile.


C’est l’artiste Ludovic Boney qui a été sélectionné au terme de ce concours dont la direction a été assurée par Laurent Vernet, directeur de la Galerie de l’Université de Montréal et spécialiste de l’art public.

Trois questions à Ludovic Boney

Originaire de Wendake, Ludovic Boney a enseigné la sculpture à la Maison des métiers d’art de Québec et est connu pour ses projets d’art public de grande envergure. L’oeuvre qu’il a conçue pour l’Université a pour titre Parallaxe, du nom d’un phénomène d’optique qui traduit l’effet du changement de position de l’observateur sur ce qu’il perçoit. Une manière pour l’artiste de nous encourager à observer l’héritage de Lionel Groulx sous un autre angle, voire sous d’autres angles. Il nous en parle.

Dans votre pratique artistique, vous explorez le lien entre la sculpture, les structures et la manière dont les choses sont faites. Quels matériaux avez-vous choisis pour «Parallaxe» et comment cette oeuvre s’inscrit-elle dans votre démarche?

J’ai utilisé l’acier corten, un matériau contenant du cuivre, ce qui provoque une oxydation qui protège la surface contre les intempéries. Sur le dessus des 13 modules, des panneaux d’aluminium peints dans un dégradé de bleu sont apposés. Mes choix ont été guidés par l’environnement bâti autour de la place Publique, principalement en brique. La structure géométrique carrée des fenêtres m’a aussi inspiré. Les teintes de bleu des modules sont un rappel du reflet du ciel qui perce à travers les bâtiments. Entre les formes et les couleurs, c’est un appel au déplacement et à la contemplation.

Le titre «Parallaxe» évoque un phénomène lié au changement de position et de perception. Quelle signification ce titre revêt-il pour vous dans le contexte d’un dialogue avec l’oeuvre de Lionel Groulx?

À travers Parallaxe, j’ai tenté d’évoquer de manière légère la complexité de la pensée. Les différents modules qui la composent font écho à une multitude de points de vue qui créent un tout. C’est une installation rappelant un labyrinthe qui nous incite à toujours regarder différemment. L’esprit est appelé à jouer avec les unités en emboîtant les polycubes les uns dans les autres pour faire de nouvelles formes qui permettent chaque fois une lecture inédite de l’oeuvre.

«Parallaxe» joue également sur la notion de perspective et de déformation visuelle. Comment les gens sont-ils invités à interagir avec cette installation selon leur angle de vue ou leur position sur la place Publique?

C’est une oeuvre dans laquelle on peut circuler. La notion de perspective est un élément très important. Quand on est complètement perpendiculaire à l’oeuvre, elle est opaque et quand on lui fait dos elle est plutôt étroite. Cependant, lorsqu’on y entre, des ouvertures engendrent des percées visuelles. C’est une invitation à s’offrir de nouvelles perspectives, à s’intéresser aux multiples perceptions d’une même réalité. J’aimerais que les gens s’approprient l’oeuvre. Qu’elle soit utilisée comme mobilier pour s’asseoir ou manger.