Le défi complexe de l’intégration culturelle des personnes immigrantes au Québec

Le doctorant Robert Djogbenou signe un article scientifique dans lequel il explore la participation des personnes immigrées aux activités culturelles, sportives et communautaires au Québec.

Quelle est la participation des personnes immigrantes au Québec aux activités culturelles et sportives? En quoi cette participation varie-t-elle selon le genre et l’origine nationale?

C’est à ces questions que répond Robert Djogbenou dans un article récemment publié dans la revue Managing Sport and Leisure. Titulaire d’un doctorat en démographie de l’Université de Montréal réalisé sous la codirection de Vissého Adjiwanou (UQAM) et de Solène Lardoux (UdeM), l’auteur explore une facette peu étudiée de l’intégration des personnes immigrantes, soit la participation à la vie socioculturelle, au-delà du seul prisme économique.

Une collecte de données à grande échelle

Son étude compare la participation culturelle des gens nés au Canada et au Québec avec celle des immigrants et immigrantes de première génération originaires de quatre grandes régions: Amérique latine et Caraïbes, Afrique, Asie et Moyen-Orient, Europe et États-Unis.

Cette étude s’appuie sur les données originales du projet sur les trajectoires individuelles et les dynamiques de participation des femmes et des hommes à la société québécoise , financé par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec, en collaboration avec le Fonds de recherche du Québec - secteur Société et culture.

La collecte des données a été effectuée en 2020 par l’entremise d’un questionnaire auquel ont répondu 1113 immigrantes et immigrants de première génération devenus résidents permanents ou citoyens canadiens il y a moins de 15 ans, ainsi que 450 personnes nées au Canada. Ce questionnaire visait à mettre de l’avant diverses dimensions de l’intégration, comme la participation communautaire, les loisirs et les sports, les trajectoires professionnelles et scolaires, le réseau et l’entourage social, la discrimination perçue ou le sentiment d’appartenance. Les personnes participantes étaient âgées de 20 à 60 ans.

Ces données ont ensuite été pondérées avec celles du recensement de 2016 pour mieux cerner l’effet croisé du genre et de l’origine nationale sur la participation socioculturelle, en contrôlant divers facteurs sociodémographiques, linguistiques, économiques et familiaux.

Des écarts selon l’origine nationale

L’étude indique que les immigrantes et immigrants venus d’Afrique participent moins aux évènements culturels et sportifs que les Canadiens et Québécois de naissance. «En revanche, ceux et celles originaires d’Europe, des États-Unis, d’Asie et d’Amérique latine ne présentent pas de différences significatives par rapport aux natifs du Canada et du Québec», dit Robert Djogbenou. Selon lui, ces écarts s’expliquent notamment par des barrières linguistiques, des difficultés économiques et des expériences de discrimination.

Ces résultats remettent aussi en question «le modèle d’assimilation linéaire, car l’intégration culturelle des Africains au Québec se heurte à des obstacles structurels et défis freinant leur adaptation ou les poussant à se replier sur eux-mêmes face aux normes locales», ajoute-t-il.

L’étude révèle aussi que, chez les personnes nées dans les pays occidentaux, les femmes participent davantage aux activités culturelles que les hommes, tandis que les hommes sont plus présents dans les activités sportives. Par contre, chez les immigrantes et immigrants africains, asiatiques et latino-américains, on voit plus d’hommes que de femmes prendre part aux activités culturelles.

Pour les sports, les écarts de genre sont encore plus prononcés: les hommes sont nettement majoritaires, en particulier parmi les Latino-Américains et les Africains.

Selon Robert Djogbenou, ces disparités résultent d’une combinaison de facteurs personnels, socioculturels et économiques. Il met en lumière l’influence de normes de genre profondément ancrées dans certaines cultures traditionnelles, où les femmes sont souvent reléguées à des rôles domestiques.

«Dans ces contextes, leur participation à la vie publique et sociale peut être restreinte, estime-t-il. De plus, les responsabilités familiales, comme les tâches ménagères et la garde des enfants, ainsi que les contraintes économiques limitent particulièrement le temps libre des immigrantes, réduisant ainsi leurs possibilités de participation aux activités culturelles et sportives.»

Le contexte québécois: un défi unique

Au Québec, où près de 23 % de la population était née à l’étranger en 2021, l’intégration des personnes immigrantes repose sur une approche d’interculturalisme qui valorise la langue française et les échanges entre cultures.

«Cependant, cette approche est critiquée pour sa tendance à privilégier la culture majoritaire, au détriment de celles des immigrants et immigrantes, et pour son manque de reconnaissance des inégalités structurelles, notamment sur le marché du travail», souligne Robert Djogbenou.

«Pour les nouveaux arrivants, l’intégration implique non seulement l’apprentissage du français, mais aussi une adaptation à la fois à la culture canadienne et à la culture québécoise, poursuit-il. Cette triple exigence combinée avec le stress postmigratoire ajoute une couche de complexité à leur parcours, ce qui peut freiner leur participation socioculturelle.»

Des pistes pour des politiques plus inclusives

Selon Robert Djogbenou, les résultats de l’étude devraient inciter les décideurs politiques à tenir davantage compte des spécificités culturelles et de la diversité des besoins des personnes immigrantes dans la conception des programmes d’intégration.

Pour réduire les inégalités de genre, il propose des initiatives ciblées, telles que des programmes sportifs adaptés aux contextes culturels des immigrantes et des mesures pour éliminer les barrières socioéconomiques. Selon lui, les activités de loisir peuvent être l’occasion de s’affranchir des rôles traditionnels, principalement par le biais d’activités sportives ou culturelles en dehors du cercle ethnique, ce qui favorise les contacts interculturels.

Robert Djogbenou recommande aussi des partenariats avec les associations communautaires pour créer des activités inclusives, prendre en compte les contraintes familiales et encourager les hommes à soutenir la participation des femmes de leur communauté.

Vers une approche bidirectionnelle de l’intégration

L’étude met également en évidence l’importance des loisirs et des sports récréatifs comme leviers d’acculturation et piliers de l’intégration sociale et du vivre-ensemble. L’auteur souligne que ces activités ont des effets positifs sur la santé et peuvent réduire les tensions intergroupes en facilitant les échanges entre individus de différentes cultures.

Robert Djogbenou plaide pour une approche bidirectionnelle de l’acculturation et de l’intégration, où tant les personnes immigrantes que les natifs participent activement à des échanges culturels, soulignant que l’intégration ne doit pas se limiter à l’adaptation des nouveaux arrivants à la culture dominante.

«Cette approche implique une reconnaissance et une valorisation des traditions culturelles tout en favorisant la participation à la vie sociale québécoise, explique-t-il. Cette approche pourrait prendre la forme d’activités culturelles hybrides, mêlant traditions d’ailleurs et culture québécoise, qui renforceraient le sentiment d’appartenance à la société québécoise.»

Robert Djogbenou souhaite que la société d’accueil soit davantage proactive en comprenant les besoins des personnes immigrantes et en adaptant ses offres d’activités. «Soutenir la participation socioculturelle permettrait au Québec de transformer sa diversité ethnoculturelle en une force et une véritable richesse et d’encourager l’inclusion sociale», conclut-il.

À propos de cette étude

L’article « The effect of national origin and gender on the cultural participation of immigrants in Quebec », par Robert Djogbenou, Vissého Adjiwanou et Solène Lardoux, a été publié dans la revue Managing Sport and Leisure.